Nouvelle de Janvier 2018 pour un concours internet d’histoires courtes.
Demain est un autre jour
Ils s’étaient déjà retrouvés ici.
La dernière fois il s’était caché derrière le mur défoncé qui aujourd’hui lui faisait face.
En dehors de ce changement de position, rien n’avait réellement changé. Le ciel était toujours de plomb. D’un gris ardoise sale qui semblait nécessiter le nettoyage d’un bon orage. Mais il n’y en aurait pas. Pas ici. Pas aujourd’hui.
Louis vérifia ses munitions, histoire d’être prêt. Son frère le lui avait assez souvent répété. « Reste concentré sinon tu te feras tuer. »
C’était ses paroles. À quelques mots près. Il l’admirait son frère. Rien ne semblait capable de surprendre David ; ni les pluies soudaines, ni les brouillards qui se levaient sans crier gare. Il connaissait les armes, les surfaces ; la guerre. Que ce soit avec une grenade ou un couteau, il était toujours capable de faire la différence, et ce qu’il soit seul ou en équipe, en forme ou blessé. Louis ne connaissait pas meilleur combattant. C’était pour ça que David dirigeait sa propre unité. Peut-être le pourrait-il aussi, quand il serait capable de ne pas se tromper de chemin, ou se prendre bêtement une balle dans la jambe.
« Ils arrivent, lui dit son frère d’une voix basse, tiens-toi prêt. Tu vises et tu tires. Ne gâche pas les munitions à tirer dans le tas, OK ? »
Il acquiesça, aussi calme que possible. Ce n’était pas sa première fois sur un champ de bataille. Il avait 10 ans quand même. Les corps déchiquetés, le bruit de l’impact d’une balle dans un gilet, les cris… tout ça, il connaissait. Mais cela ne l’empêchait pas, surtout quand il faisait équipe avec son frère, de sentir les battements de son cœur s’accélérer. Ses mains désormais moites se crispèrent sur l’engin qu’il tenait fermement et il prit le temps de les essuyer sur son pantalon. Sinon il risquait une fois de plus de laisser tomber son arme et d’obliger David à tenir seul sa ligne tout en veillant sur lui. Cela n’arrivera pas. Pas aujourd’hui.
Ils rentrèrent tous les deux dans la vieille bâtisse. Il savait qu’ils étaient attendus. À ses côtés son frère se crispa, imperceptiblement, comme il le faisait toujours dans ces moments-là, lorsqu’il sentait une menace qu’il ne voyait pas encore. Il reconnut ce geste léger de ses épaules parce qu’il l’observait toujours, calquant ses réactions, son souffle, même son pas sur le sien.
Lorsque les balles commencèrent à fuser, Louis eut un moment de panique.
« À l’abri ! lui cria David, mets-toi à l’abri. »
Lui avait déjà sorti son arme et commencé à tirer sur leurs assaillants, devinant leurs positions rien qu’à l’impact des balles qui ricochaient tout autour d’eux. Des cris emplirent la pièce, leurs ennemis tombant les uns après les autres.
« On avance, viens ! »
Il le suivit. Comme toujours obéissant aux moindres de ses ordres, tirant quand il lui demandait de tirer, se terrant derrière des amas de pierres lorsqu’il lui demandait de se mettre à l’abri, courant dès qu’il lui en donnait l’ordre.
Une fumée opaque envahissait lentement les couloirs qu’ils traversaient au pas de course. Il se rendit compte qu’ils traversaient des endroits où il n’était encore jamais venu. À chaque étage, des ennemis étaient embusqués derrière des poutres ou des portes. Mais aucun ne parvenait à les surprendre. David anticipait toujours une présence, et lui n’avait qu’à faire ce qu’il lui demandait pour rester en vie.
Ils allaient le faire. Louis sentait que cette fois ils allaient y arriver. Plus confiant qu’il ne l’avait jamais été, il passa la porte devant lui, trop vite pour entendre le cri de David dans son dos. Ils avaient perdu. Il le sut dès qu’il eut poussé le battant. Une lumière aveuglante le força à plisser les paupières alors qu’une énorme explosion retentissait. Ils étaient morts.
Le temps sembla, pendant de longues secondes, s’arrêter. Louis n’entendait rien, ne voyait rien d’autre que cet écran figé devant lui et ces quelques mots qui ne cessaient de clignoter sur l’image de leurs corps sans vie : Game Over. L’éclat de rire de David dans son dos le ramena à la réalité.
« Décidément, lui dit celui-ci en posant sa manette sur la table, tu trouveras toujours un moyen de nous faire tuer. »
Louis baissa les yeux vers sa manette, honteux.
« Allons, ajouta son frère en faisant rouler son fauteuil jusqu’à l’écran de télé qu’il éteignit, d’accord on est mort aujourd’hui ; mais demain est un autre jour. »
Fin